« Le 16/10/2013, Culture Nouvelle Calédonie : Anûû-rû âboro veut dire « l’ombre de l’homme » dans la langue paicî, autrement dit « cinéma ». Nous aimons cette définition poétique qui laisse une part d’ombre dans la recréation du réel que pose l’acte cinématographique documentaire. »
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Festival Anûû-rû âboro
Le Festival du cinéma des peuples se déroulera du 18 au 26 octobre 2013 dans la commune de Pwêêdî Wîmîa (Poindimié) sur la côte Est de la Nouvelle-Calédonie à 310 kms de Nouméa. Les projections se font en journée à la Médiathèque, et le soir, en tribu et à l’hôtel Tieti Tera.
Nous aimons aussi cette présence de l’homme dans la définition kanak du cinéma. Nous inscrivons notre festival dans un processus d’émancipation : celui que le peuple kanak et les citoyens de notre pays ont engagé avec l’Accord de Nouméa. Nous considérons que le cinéma est un espace non-clos dans lequel les contradictions politiques et idéologiques qui travaillent le monde s’exercent peut-être encore plus vivement qu’ailleurs.
L’image est devenue un enjeu de pouvoir planétaire. Dans notre Pays, il n’y avait encore que deux chaînes de télévision il y a dix ans à peine. Aujourd’hui, le bouquet satellitaire donne à voir une cinquantaine de chaînes. Nous sommes submergés d’images et pressés d’en consommer. Notre voix et notre image – notre identité – sont inaudibles et invisibles face à cette multitude de programmes stéréotypés, qui sont le fruit d’une exigence du capital financier et non de l’immense majorité des hommes et des femmes qui, dans leur diversité, peuplent la planète.
L’ordre établi, ce n’est pas seulement celui du capital financier qui met le monde en coupe réglée, qui affame la moitié de la planète, qui contraint des milliers de gens à émigrer au risque de leur vie dans l’espoir d’une vie meilleure. L’ordre établi c’est aussi celui d’une idéologie dominante largement intériorisée qui, en matière d’image et d’esthétique, tend à imposer des formes établies, calibrées par la télévision, soumises dans leur conception et leurs conditions de production à la dictature marchande de l’audimat.
Notre festival essaie de donner un espace, la tribu, et un temps, extensible à l’année, à ces films documentaires qui ne sont pas seulement des témoignages plus ou moins bien « habillés » qui documentent le réel mais qui se veulent des œuvres cinématographiques dotées de leur propre langage.
Paul Néaoutyine, Président de la Province Nord
Nous sommes, tous les jours, qu’on le veuille ou non, des spectateurs. Des spectateurs souvent passifs d’images bombardées, assénées, mitraillées avec une rapidité telle que le temps de la réflexion, du recul nous est impossible. Anûû-rû âboro a fait le choix d’une autre démarche, celle d’un cinéma qui interroge plus qu’il n’affirme, qui fait appel à l’intelligence plutôt qu’à la consommation, un cinéma qui nous apprend à devenir un spectateur, qui nous apprend à voir et pas seulement à regarder.
Ânûû-rû âboro nous propose un cinéma engagé aux côtés des peuples qui, comme nous ici, citoyens de ce Pays, poursuivent un combat pour leur liberté et leur indépendance. Un cinéma engagé en ce sens qu’il engage aussi le spectateur à apprendre à voir. Pour apprendre à voir, il n’y a pas de meilleur professeur que l’oeuvre cinématographique elle-même. Les films que nous propose le festival ânûû-rû âboro sont de ceux qui par leur contenu et par leur forme, les deux étant intimement entremêlés, nous invitent à voir et à penser le monde autrement et pourquoi pas, à le transformer.
Le peuple se filme…par René Boutin, Directeur artistique du festival Ânûû-rû Âboro
La caméra est un catalyseur, un outil d’expression et une arme de guerre. Son utilisation est devenue le premier réflexe, pour se faire entendre, dénoncer les injustices, et lutter contre toutes formes de discrimination. Dans le même temps, c’est l’instrument incontournable pour manipuler l’opinion, travestir les vérités, et spolier le public de son droit de se questionner. Filmer n’a plus le même sens aujourd’hui.
On ne raconte plus les peuples… ils se manifestent. La frontière entre le réalisateur empathique et son sujet est perméable. Du cœur de l’événement, la personne filmée exploite son image. Elle se met toujours autant en scène, mais en ayant maintenant une idée assez précise de l’exploitation qui en sera faite et des bénéfices qu’elle pourrait en obtenir. Si l’on peut se réjouir que l’être filmé se soit attribué une part importante du processus de réalisation en imposant son point de vue, l’idée du documentaire se pose tout autrement lorsqu’il s’agit de filmer ce que l’on ne doit pas voir.
La caméra mise à nue, filmer son ennemi est devenu une tâche extrêmement complexe et quasiment impossible. Si « Résister c’est créer », pour le documentaire, il est indispensable de créer pour résister aux images du pouvoir et du spectacle. Il faut désormais prendre les risques inhérents à l’art, déambuler, et sortir des cadres conventionnels pour donner à sentir ce que l’on ne comprend pas, pour rendre visible, déplacer le regard, et servir le réel pour imaginer demain. La préoccupation d’Ânûû-rû Âboro de donner envie de voir et de faire des films est primordiale, et c’est tout naturellement que dans le contexte actuel, la 7ème édition présente, sans prétention d’exhaustivité et avec humilité, le cinéma documentaire dans toute sa complexité et ses contradictions.
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