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Wade ou le sursaut démocratique du Sénégal Par Ibrahim Ouattara Université de Moncton (Canada)

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Afrique News

« Le Sénégal, après un parcours démocratique sans trop de fautes, donne aujourd’hui le spectacle lamentable d’un Wade arc-bouté au pouvoir. Le fait à d’ailleurs de quoi choquer… surtout si l’on se souvient que c’est le même qui déclarait Wade avec grandeur que «Laurent Gbagbo aurait dû avoir l’élégance de Abdou Diouf» et qu’« il y a une vie derrière la présidence. On n’en meurt pas de ne pas être président (…) Si aujourd’hui vous êtes porté par les populations et que le lendemain elles ne veulent plus de vous, il faut partir ; il ne faut pas faire la bagarre. »

Abdoulaye Wade un pouvoir autocratique

Devant la terrible ironie de l’histoire – Laurent Gbagbo appréciera d’ailleurs – il est nécessaire de signaler à Wade que sa candidature rencontre autant d’opposition, précisément, parce qu’il fait exactement ce que l’on reprochait à d’autres : vouloir transformer la démocratie en un pouvoir autocratique, c’est-à-dire un régime dans lequel le chef s’imagine abusivement pouvoir être la source et la justification de son pouvoir – bref, un pouvoir arbitraire et sans aucune légitimité. Raison d’ailleurs pour laquelle il se trouve confronté depuis la validation de sa candidature, en lieu et place du ramage habituel de ses adulateurs, à la réaction vigoureuse d’un peuple et d’une société civile fortement remontés et décidés d’en finir avec ce genre de confiscation du pouvoir. Et à juste titre, car le moment est enfin venu de répéter aux dirigeants africains que : la nation, l’État, c’est la chose publique; le souverain dans l’État, c’est le peuple; et le temps est désormais révolu où l’on pouvait transformer en toute tranquillité la démocratie en autocratie contre la volonté souveraine du peuple lui-même.

Le peuple Sénégalais déterminé à ne pas se faire spolier

La détermination de la rue sénégalaise joue ici le rôle de révélateur de ce qui couve partout ailleurs sur le continent. Et il faudrait être sourd ou suicidaire pour négliger des signes qui annoncent une mutation politique majeure en Afrique, une mutation qui clôt symboliquement l’ère des démocraties autocratiques, de la même manière que les mouvements des années 90 mettaient fin à leur manière à une autre ère peu glorieuse de la politique continentale. La posture d’ Abdoulaye Wade ressemble à bien des égards à l’ultime soubresaut de tout un monde qui refuse à tort, comme d’autres avant lui, de faire partie du passé. Sans doute… Mais l’Afrique, difficilement certes, extirpe lentement et sûrement l’autocratie d’elle-même. Et les nouvelles générations, avec la confiance que confère le droit, sont bien décidées à faire de cet antique principe la vérité du pouvoir en Afrique : aucun gouvernement n’a et ne peut avoir de pouvoir en dehors du peuple ; et l’autorité politique, quelle que soit sa forme et sa nature, n’est fondée que par le contrat qui lie le peuple souverain à ceux qu’il a choisis pour le servir.

Pouvoir, force et légitimité en Afrique

Un petit rappel des principes politiques de base de la démocratie s’impose ici, pour permettre aux dirigeants africains de bien prendre la mesure de ce qui se passe pour l’instant au Sénégal. Premièrement, et il faut y insister, dans les démocraties en effet, ce n’est pas au peuple, au corps de l’État à s’assujettir aux mandataires de son pouvoir; bien au contraire, c’est au gouvernement, qui doit toujours être au service du peuple, à s’assujettir au souverain. Et du reste, nulle part dans le monde le peuple ne se trouve habiter la propriété du chef de gouvernement ; mais l’on voit, en revanche, que partout où il y a un État, un territoire et un peuple, les gouvernements sont et ne peuvent qu’être locataires dans la maison du peuple.

Deuxièmement, il est en outre important de rappeler que si les deux dernières décennies démontrent quelque chose avec force, c’est bien le fait que sans une pression forte de la rue, rien ne change de manière durable en politique africaine; et d’autre part qu’aucun pouvoir, aussi brutal soit-il, ne peut victorieusement s’opposer à la force de la rue, pour peu que celle-ci poursuive avec persévérance des objectifs clairs de justice et de bonne gouvernance politique. Ce qui signifie que le pouvoir politique, quels qu’en soient encore les représentations en Afrique, ne saurait résulter ou s’appuyer sur la force seule. L’histoire politique mondiale l’atteste d’ailleurs, la violence, quel que soit l’appareil policier et militaire qui l’accompagne, ne saurait jamais fonder ou justifier une autorité, surtout de nos jours. En conséquence, les peuples de l’Afrique peuvent et doivent, avec toute la souveraineté qui est la leur, exiger de leurs dirigeants – à l’image de la rue sénégalaise et du printemps arabe – le respect de la publicité de la chose publique et du contrat social qui, seuls, peuvent fonder et stabiliser l’autorité politique qui leur a temporairement été confiée.

Troisièmement, il faut savoir encore que la plupart des peuples africains se rendent bien compte aujourd’hui que c’est pour ne pas avoir appliqué ces vérités simples qu’ils ont abandonné leurs territoires au mal gouvernement et à ces stratégies de confiscation du pouvoir qui n’abusent plus personne (1). Or, un peu partout sur le continent, c’est contre de telles manigances politiques indignes que les populations et les oppositions s’insurgent désormais. Il convient encore d’insister, pour le bien des pouvoir établis, que l’autorité politique repose (et doit reposer) sur la légitimité. Que par légitimité, il faut entendre la conviction, largement partagée et fondée, en la validité et la respectabilité d’un ordre de faits, d’un pouvoir ou d’une règle; une conviction d’ailleurs qui ne peut être produite que par des actes capables de forcer le respect et la loyauté du peuple, non par la peur, l’intimidation ou la corruption. Sans aucun doute, le clan Wade ou un autre pouvoir autocratique parviendra certainement, en mettant y les moyens nécessaires, à s’imposer et à obtenir l’obéissance de façade du peuple. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne parviendra jamais ainsi à obtenir ni respect ni loyauté. Car, parmi les choses susceptibles de forcer le respect du peuple (et donc de conférer de la légitimité), il y a notamment la capacité à respecter le contrat social par lequel l’on a accédé au pouvoir.

1) Cette technique de confiscation du pouvoir, à l’œuvre un peu partout sur le continent, se laisse décomposer ainsi:

  • Étape 1 : Arrivée au pouvoir : par un coup d’État ou, dans le meilleur des cas, suite à une première vague d’alternance politique véritable.
  • Étape 2 : Technique de la terre brûlée : colonisation de l’appareil d’État par sa famille et ses amis (assemblées, magistrature, armée, police); corruption des contre-pouvoirs intermédiaires (opposition, chefferie traditionnelle, hiérarchies religieuses); actions stratégiques subtiles en vue d’un futur mandat.
  • Étape 3 : Accaparement et personnalisation du pouvoir (début de l’autocratie) : Répression, corruption et récupération des forces oppositionnelles, modification de la constitution (réduction de la durée et du nombre des mandats) avant la fin du premier mandat ou après une «victoire» à des élections.
  • Étape 4 : Deuxième mandat : laisser croire au respect de la nouvelle constitution (son mandat sera le dernier); mener en sourdine des manigances (généralement infructueuses) pour désigner un successeur (fils, frère, etc.); renforcement de la répression et du contrôle de la population.
  • Étape 5 : L’autocratie constituée : annonce d’un troisième mandat dans la confusion la plus totale et voie ouverte à l’autocratie démocratique ou plébiscitaire.

Un nouveau pacte social et politique

A tous les déçus de politique africaine, et Dieu seul sait qu’ils nombreux de nos jours, il convient encore de dire ceci : la politique a perdu tout sens suite aux mensonges, à la corruption et aux affaires qu’il s’agit de lui rendre sa véritable signification et force par la mobilisation, la manifestation, la lutte citoyenne, surtout en Afrique où elle n’a jamais joué son rôle. Ce qui se passe au Sénégal, nous l’avons dit, est le symptôme le plus clair du changement en cours en Afrique, parce que partout sur le continent, les peuples en ont réellement : «ras le bol de la corruption, des passe-droits, de ces fortunes immenses bâties en une dizaine d’années à peine alors qu’une grande majorité de la population Sénégalaise croule sous le poids de la misère». Raison pour laquelle l’Afrique profonde, celle de l’exclusion, des peuples et des bidonvilles, est aujourd’hui solidaire et mobilisée, presque spontanément, autour d’objectifs similaires : s’opposer en bloc au demi-siècle passé de mal gestion généralisée, pour tenter de transformer la sombre histoire du continent en un meilleur avenir; et d’autre part réclamer avec force l’instauration d’un nouveau contrat social et politique dont l’un des objectifs sera de faire des pays africains des démocraties fondées sur un système de gouvernance rigoureux et un système équitable de redistribution sociale et économique.

Lutte citoyenne pour l’émergence d’une nouvelle classe de leaders

A l’instar des révolutions citoyennes dans les pays arabes, cette protestation en sourdine n’est ni un plaidoyer pour ou contre telle option politique ou de gouvernement; elle est le symbole surtout et avant tout d’une lutte citoyenne pour l’émergence d’une nouvelle classe de leaders, d’un monde nouveau et d’un système de gouvernance fondé sur une gestion démocratique et rigoureuse des affaires publique, la participation politique et la justice sociale. Un des membres de la coalition contre la candidature de Wade exprime de manière tout à fait remarquablement le sentiment de cette Afrique profonde : «Depuis cinquante ans, nous avons les mêmes problèmes et nous vivons dans les mêmes conditions sociales. Ce n’est pas un problème de personnes mais un problème de système (…) Nous ne luttons pas pour le renversement de ce régime, mais nous défendons nos concitoyens en prônant l’émergence de nouveaux dirigeants». L’heure est donc venue pour les élites politiques de tirer les leçons de qui se passe au Sénégal et d’écouter les bruits de la rue. Car les mouvements au Sénégal, comme d’autres mouvements ailleurs sur le continent, sont l’écho de la frustration grandissante du plus grand nombre face aux cinquante dernières années de gaspillage des ressources, de blocage de l’appareil d’État, de dégradation des conditions d’existence et d’immaturité politique (2).

2) On peut affirmer sans exagérer que les pays africains (aussi petits et aussi désavantagés soient-ils) ont des moyens suffisants pour faire face aux besoins fondamentaux de leurs populations et assurer un niveau minimal de redistribution, pour que les ressources collectives soient gérées rationnellement. Cela est prouvé tous les jours par les immenses fortunes personnelles de ceux qui sont au pouvoir et le colossal gaspillage des ressources qui a lieu dans ces pays.

La fin des autocraties Africaines?

Très certainement, parce que l’Afrique se trouve désormais dans une période charnière de son histoire, cela pose certes un défi considérable pour les dirigeants et les élites politiques, mais cela constitue par ailleurs une chance remarquable pour l’Afrique des peuples et l’équilibre mondial. Toutefois, cette sortie de l’autocratie ne sera possible qu’à une triple condition. La première condition concerne les dirigeants. Cela leur impose de faire preuve d’humilité et de sagesse, pour accepter enfin les contraintes du pouvoir dans un cadre démocratique moderne, et penser notamment les moyens et les conditions de possibilités de la transition non autocratique du pouvoir à l’échelle du continent. Car la stabilité politique et sociale, c’est-à-dire la base de la permanence de l’État et du politique, repose avant tout sur la reconnaissance par la majorité de la légitimité de l’ordre politique et non pas sur la force. Au reste, le recourt à la force pour asseoir son pouvoir ne fait que légitimer l’usage de la violence pour d’autres coalitions politiques.

La deuxième condition est que les élites intellectuelles acceptent de jouer pleinement leur rôle social, à savoir conseiller et informer les pouvoirs des graves enjeux auxquels le continent est confronté d’une part, et continuer à aiguiser et former la volonté politique du peuple. En faisant comprendre que la situation de l’Afrique n’est ni une fatalité ni destinée à être l’exception qui confirme la règle; que les peuples de l’Afrique ont les mêmes rêves et les mêmes ambitions que ces des autres continents; et finalement que la terre d’Afrique a largement de quoi subvenir aux besoins de ses enfants. Quant à la dernière condition elle s’adresse aux peuples, auxquels elle demande beaucoup de lucidité et de détermination, car il leur appartient d’être les gardiens de leur souveraineté, d’inventer, si besoin est, les moyens de s’opposer et d’affaiblir les pouvoirs établis, de mobiliser les énergies au service de l’idéal démocratique. Parce que le moyen le plus efficace de mettre fin à la prévarication du pouvoir est de faire monter autant que possible les coûts d’opportunité de la conservation autocratique du pouvoir, de façon à rendre l’intégrité politique enviable politiquement et socialement.

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Rédacteur Ibrahim Ouattara

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